« Vous voulez réellement savoir ce que Zeru a vécu en plus de cinq cents ans de vie ? Wôw vous êtes des voraces, vous. Enfin bon, si vous insistez, j’vais vous raconter ce que je sais. »

« Zeru est né il y a donc cinq cent quarante et un ans. Il était issu d’une famille normale, agréable et appréciée de son petit village. Il vivait bien, il vivait heureux. Mais voilà, un jour, le père et la mère se sont fait revenantiser. Et au lieu de se montrer accablés par la situation, ils ont décidé de faire quelque chose de bien. C’est là qu’ils ont commencé à chercher un moyen de se nourrir autrement. Ils n’ont pas testé ça au pif, cela faisait des années qu’ils étudiaient cela, je vous rassure. Mais ils ont testé leurs méthodes tests sur eux-mêmes. Des tests qui se sont avérés efficaces, puisqu’ils se sont changés en vampires grâce à l’énergie des plantes, sans jamais boire le sang d’un seul humain ! Le village était sous le charme et les parents de Zeru ont cherché à agrandir leur entreprise. »

« Sauf que ça ne pouvait évidemment pas se jouer ainsi sur toutes ces années, n’est-ce pas ? Le chef de la mafia de l’époque était un connard mal foutu, abruti et complètement con. Il n’a pas kiffé que quelqu’un veuille prendre son business comme ça. Surtout que, de son point de vue, bouffer des plantes, c’était pas vampirique ! Il lui fallait du sang, et du sang frais. Alors il a envoyé des gens pour éliminer ceux qu’il pensait être ses ennemis. Zeru n’avait que dix ans lorsqu’il s’est retrouvé orphelin. Mais il était déjà intelligent et il voulait se donner les moyens de réussir à prouver que ses parents n’étaient pas des fous. Il avait tout un village avec lui ! Bon certes, pas un gros, mais un village. C’est dans l’orphelinat qu’il a fait la rencontre de Nana, sa mère adoptive. Je dois avouer que je ne l’ai jamais vue, mais impossible de croire qu’il l’a inventée, puisqu’elle a réussi à le sortir de son orphelinat ! »

« Donc Zeru a vécu avec cette dame, qui lui a appris un grand nombre de choses. Genre à se défendre, déjà. Après je pourrai pas trop vous en dire plus, puisque Zeru n’a jamais pris la peine de tout m’expliquer, soi-disant que c’est chiant, tout ça, tout ça… Bref. Donc il a vécu avec elle pendant quelques années, puis, vers ses dix-sept ans, il s’est également transformé en revenant. Là il s’est rappelé la voie de ses parents et s’est dit “c’est le bon moment pour reprendre !” Il s’est donc changé en vampire grâce à leurs travaux, sans boire une seule goutte de sang. Puis la vie a encore continué, mais… Plus difficilement, car même si le village de son enfance l’avait soutenu, Nana voyageait beaucoup et le traînait partout. Et là où ils allaient, peu de gens appréciaient les vampires. »

« Mais Zeru a quand même continué à vivre. Il a plusieurs fois rencontré la mafia, et c’est vers ses vingt-neuf ans qu’il a décidé qu’il devait en prendre la tête et en faire quelque chose de bien. Je ne sais pas exactement comment ça s’est passé, et d’ailleurs, personne ne le sait. Mais Nana a aidé Zeru à atteindre son objectif, et même s’il ne le dit qu’à très peu de personnes, il m’a avoué que, sans son aide, il n’aurait probablement jamais réussi à devenir le Roi Écarlate. Enfin bref. Il avait à peine trente ans qu’il est devenu le grand chef mafieux. »

« Mais si Zeru voulait en faire quelque chose de bien, il ne faut pas oublier d’où il partait. Jaspe était rempli de trouducs, d’ordures et de connards, et bien peu voulaient changer. Leur ancien chef était le plus parfait des sales cons. Et surtout… Personne n’aimait Jaspe. Ils n’étaient qu’une bande de sauvages suceurs de sang qui faisaient du trafic, de l’esclavagisme, qui tuaient et volaient. Aucune nation n’appréciait Jaspe, aucun civil correct ne voulait faire affaire avec eux. Et bien sûr, ils avaient raison de ne pas les aimer ! Mais Zeru était motivé. Motivé et accompagné. Il avait une bande de gars à ses côtés, que personne ne connaissait. Mais ils étaient puissants et explosaient quiconque essayait de s’en prendre à Zeru. Il m'a révélé une fois qu'il avait gagné une certaine puissance, alourdie par un grand fardeau, à cette époque. Je ne suis pas sûre de comprendre ce qu'il voulait me dire, cependant... Ainsi donc, il imposa ses changements auprès de Jaspe, sans demander l’accord de qui que ce soit. Les réfractaires disparaissaient, et ceux qui n’étaient pas si mauvais suivaient. Ceux qui avaient peur aussi. »

« C’est grâce à la main de fer de Zeru que Bois-la-Pluie, les Barons des Mers et la Cité du Fleuve Serpent ont vu le jour. Grâce aux travaux de ses parents, il savait où aller. Et grâce à l’argent qu’il avait récupéré et grâce aux gens qu’il contrôlait, il parvint à développer suffisamment ces trois sites. Il avait gardé le site de Rubis, qu’il a renommé plus tard, pour une espèce de base secrète, mais il a vite supprimé le trafic de gens. Oui, Jaspe était enfin quelque chose de bien ! »

« Mais même si les vampires de Jaspe ne s’attaquaient plus aux mortels, il y avait toujours des vampires qui n’en faisaient qu’à leur tête. Et puis, pire que tout… Cela faisait deux ères que la mafia était mal vue. Il aurait fallu énormément de temps pour que les mortels comprennent qu’elle était devenue quelque chose de légal ! Sans compter que, malgré les messages de Zeru pour le faire noter, les réfractaires étaient nombreux. Aussi, après une dizaine d’années à tenter de faire changer les choses, le monde autour de Zeru s’est écroulé. »

« À cette époque déjà, Zeru avait offert une nouvelle chance à un orphelin. Un gamin tout jeune encore. Et un gamin qui, parce que Zeru lui avait appris à accepter les vampires, a décidé d’en défendre un qui n’avait rien fait. Personne ne devrait réaliser avec exactitude ce qui en a suivi et qui n’aurait jamais dû suivre. Mais quand Zeru a appris… Tous ses derniers espoirs de changer les choses se sont envolés. Réduits à néant par une bande de villageois effrayés par ce qu’ils croyaient être deux vampires buveurs de sang. Zeru m’a vaguement mentionné les jours sombres qui ont suivi la mort du p’tit. Encore aujourd’hui, je sais qu’il s’en veut de ne pas avoir su protéger le gosse. Mais avec ça, les choses ne sont pas allées en s’arrangeant. »

« Il y avait toujours des vampires qui n’en faisaient qu’à leur tête, et bien peu de gens reconnaissaient les changements de la mafia. Il y a eu plusieurs autres évènements néfastes dans la vie de Jaspe, de Zeru et des vampires. Et tout ça a fait péter un câble à Zeru. Puisque personne ne voulait voir le bien de Jaspe, alors elle allait devenir ce que les gens voulaient croire qu’elle était. Et la Cour des Miracles a doucement repris son rôle de trafiquant de sang. Les vampires de Zeru ont encore une fois hésité. Certains avaient toujours foi en la possibilité d’un avenir meilleur. D’autres n’avaient pas perdu de vue que les années sanglantes avaient été les meilleures. Mais les premiers ont fini par se résoudre au changement. Après tout, Zeru n’avait pas tort. Le monde n’allait pas changer de sitôt. »

« Ainsi donc, la mafia avait changé, mais était retournée dans un entre-deux. Zeru devenait distant avec les nouveaux, et ne restait proche que de ceux qui l’ont suivi dès le début. Pas les gros costauds bizarres, qui, eux, ont rapidement disparu, comme s’ils n’avaient que pour objectif d’aider Zeru au début. Non, juste des vampires qui étaient pleins de bonnes intentions. Et les années ont passé. Chacun de ces vampires s’est fait tuer, un par un, par des gens qui avaient toujours autant de haine envers les vampires. Zeru s’est retrouvé seul, s’est formé une nouvelle série de subordonnés proches, mais est resté toujours distant avec eux. »

« Je crois qu’il a un peu peur de risquer de les perdre à nouveau, comme il a perdu ses compagnons. Alors s’il ne s’attache pas à eux, il en sera moins triste à leur mort ? Il est devenu le Roi Écarlate que nous connaissons. Le roi sombre et mauvais, qui règne d’une main de fer sur les vampires. Mais le roi qui ferait tout pour protéger son peuple, quitte à exterminer tout ennemi. Non, je vous assure… Je connais Zeru mieux que personne. Il m’a recueillie quand j’étais encore trop jeune pour parler. Il m’a élevée, il m’a choyée. Zeru m’a donné une chance, un avenir, une vie. Il n’est pas mauvais. Enfin… Il fait des choses mauvaises que je ne peux pas approuver et qu’il n’approuve pas lui-même. Mais il estime que tout le mal qui s’est abattu sur ses proches est arrivé parce qu’il n’a pas été assez fort pour l’en empêcher. Et la seule manière d’être fort, n’est-ce pas finalement d’être impitoyable ? Les animaux qui gagnent sont sans pitié, et ceux qui perdent ne mangent que les restes. »

« Je me rappelle encore des années d’insouciance avec un père qui, à mes yeux, n’était encore qu’un historien vampire. Qui ne mangeait que la magie des cailloux, des plantes et du soleil, jamais d’êtres vivants. Enfin, sur ce point, j’ai appris que ça n’avait jamais été un mensonge, aussi surprenant soit ce fait. Bref. Lorsque j’ai appris qu’en fait, mon père était le chef de Jaspe, ça m’a fait bizarre. Mais je ne lui en ai pas voulu. Après tout, ce n’est pas comme s’il m’avait élevée en me disant que la mafia était une bande de connards. Lui m’a expliqué des choses que les autres ne voyaient pas. »

« Les années sont passées. Ont défilé, même. Je grandissais, je suivais la voie de mon père. Je crois qu’il ne s’est pas vraiment passé quoi que ce soit de notable dans ces années. Les affaires de la mafia continuaient, le Roi faisait son travail. Je faisais ce qu’il me demandait, même si je le bombardais de questions. Depuis toujours, j’ai toujours ressenti que Zeru avait encore du mal avec le travail de la Cour des Miracles. D’abord le fait qu’il refuse de se nourrir de la magie du sang, ensuite parce qu’il ne confie jamais personnellement des missions reliées au fait de remplir les cheptels mortels. Quelque part, je crois qu’il s’en veut de laisser continuer ça. Quand j’ai appris pour la voie de ses parents, j’ai compris pourquoi. Finalement, il doit avoir le sentiment de les trahir en faisant cela. Mon père est quelqu’un de très mouvementé. J’essaie de toujours l’aider du mieux que je peux, mais ça n’est pas toujours simple. »

« Sans doute devrais-je aussi parler de sa rencontre avec Hollow. Devrais-je dire que c’était un jeu ? Probablement pas, ça n’était pas drôle. Mais ça l’était un peu, pour d’autres, j’imagine. Zeru n’a pas passé un pacte avec ce démon de simple gaieté de cœur, mais ce serait une grande trahison que de dévoiler exactement les tenants et aboutissants de cette histoire. La seule chose qu’il faut savoir, c’est qu’aujourd’hui, ils ont l’air de s’être accommodés l’un à l’autre. »

« Je sais que, depuis toujours, Zeru était intéressé par l’histoire. Et je suis persuadée qu’il ressent plus de plaisir dans ce travail que dans celui de chef mafieux. Mais quelque part, il a besoin de continuer ce job plus sombre. Mais même s’il doit cacher ses origines pour ne pas froisser, il a toujours étudié le passé, en même temps que de mener la mafia. Il se vante souvent en disant qu’il a découvert un grand nombre de choses, et c’est sûrement vrai. »

« Enfin bref. J’ai déjà pris assez de votre temps. J’ai fait rapide, puisque, vous vous en doutez, je n’ai pas tous les détails de la vie de mon père. Je crois qu’il y a un grand nombre de choses qu’il cache encore. Et aussi de choses qu’il a oubliées. Peut-être arriverez-vous à en apprendre plus, mais je n’en suis pas convaincue. Allez… Bye ! »